14.5.10

Les élections automatisées: un chaos annoncé

Cet article provient de Laura Cliche et Emilie Fontaine, déléguées Montréalaises à la Mission d’observation électorale aux Philippines.  Cet article a été écrit avant la tenue du scrutin mais son analyse s'est avéré bien fondée. D’autres nouvelles de Laura et Émilie suivront.

Tout récemment, un représentant de la Commission des élections philippines a affirmé aux médias : « Les Philippins ne devraient pas avoir de fausses attentes; l’automatisation de l’élection va échouer». Considérant que ces élections seront déterminantes et assigneront plus de 17 000 élus à travers le pays, une telle citation est plutôt surprenante, du moins pour deux Canadiennes.

Photo by Tudla Productions - Bulatlat.com: Teachers from Cembo Elementary School in Makati City are having difficulty making the PCOS machine print a complete initialization report during testing.

Les élections automatisées, où le vote est calculé par une machine et non à la main par des scrutateurs, a pourtant fait ses preuves. 21 pays utilisent présentement ce système, dont les Etats-Unis. Toutefois, celui-ci devient de plus en plus contesté, particulièrement depuis que la Cour suprême de l’Allemagne a demandé son retrait pour des raisons de transparence.

Les Philippines ont tout de même décidé de se lancer tête première dans l’aventure, sans hésitation, comme nous l’a affirmé Bobby Tuazon du Centre de gouvernance populaire : «Aucun pays dans le monde n’oserait tester pour la première fois des élections automatisées en les soumettant à 50 millions de votants. N’importe qui aurait décidé d’y aller étapes par étapes, mais bon, pas ici.»

Cet empressement crée de grandes craintes dans la population pour le succès des élections. Nous avons découvert que celles-ci sont malheureusement fondées.

La plupart des pays entreprenant un tel projet se sont assurés d’une qualité optimale des machines pour éviter toute contrainte lors du jour du vote; l’administration Arroyo, de son côté, a choisi le plus bas soumissionnaire. Celui-ci construira les dispositifs en Chine et ceux-ci sont considérés comme étant la plus basse qualité disponible sur le marché.

Le constructeur ne s’est toutefois pas penché sur une particularité géographique importante des Philippines; le pays est constitué de 7000 îles et de peu de routes asphaltées. Les machines devront donc se rendent par cheval, par chaloupes ou même à dos de buffles capables de traverser les rivières à grands courants.

D’ailleurs, deux jours avant les élections, elles n’ont pas terminé leur grand périple vers leur destination finale. Les journalistes, impressionnés du processus de déploiement, ont demandé au coordonnateur des élections comment il pensait s’y prendre pour apporter un appareil dans l’île de Batan, particulièrement éloignée des autres. Ils furent bien surpris d’apprendre que l’homme responsable ignorait l’existence de cette dernière!

Ces dispositifs, une fois rendus sur place, ne peuvent pas assurer une automatisation complète. L’électeur doit lui-même noircir au crayon les cases sur son bulletin de vote avant de l’entrer dans la machine. Leur piètre qualité complique ce processus puisqu’elle ne peut détecter que 16 intensités de gris du crayon, comparativement à la norme habituelle de 20 000 ! Face à cette situation, des tests extensifs sur les machines devaient être conduits; selon le plan initial 1000 électeurs devaient passer aux urnes en simulation pour rassurer la population, mais finalement le tout s’est arrêté après 50 personnes.

Selon les estimations les plus conservatrices, les électeurs ne sont pas au bout de leur peine. On s’attend à ce qu’entre 30% à 50% d’eux soient incapables de voter, malgré leur volonté (ces chiffres n’incluent pas l’intimidation des électeurs ni l’enlèvement de ceux-ci pour les empêcher d’exercer leur droit de vote le 10 mai). De ceux qui y parviendront, le tiers des bulletins devraient être rejetés.

Une fois que toutes ces épreuves seront relevées, la transmission du vote sera aussi un défi. Les résultats doivent être envoyés par le web, ce qui sera relativement complexe considérant que le tiers du pays n’a aucun accès Internet, ni onde cellulaire. Un satellite est prévu pour pallier à la situation, mais lors d’un test dans la capitale, celui-ci a échoué… Inutile de dire que de grands doutes existent.

Bobby Tuazon explique que face à toutes ces confusions sur l’automatisation « on s’attend à de plus en plus d’achats de votes puisque, même ceux aux intentions malveillantes ne feront pas confiance aux machines ». Selon lui, demain, la dernière journée avant le jour du vote, on pourra voir beaucoup de «bagmen », c’est-à-dire des hommes qui se promènent, soit en hélicoptère, en avion ou en voiture, chargés de sac contenant des millions de pesos pour acheter les électeurs.

Un membre du Congrès, Neri Colmenares, nous a affirmé que la seule chose qui soit certaine le 10 mai c’est que « peu importe ce qui arrive, c’est certain que tout se fera dans la confusion la plus totale ».

Laura Cliche
Émilie Fontaine
Manille, le 8 mai 2010

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